OUSSEYNOU SARR revisité, l'homme des couleurs
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Il
y a une quinzaine d'années, j'écrivais qu'il était
clair que chez Ousseynou Sarr la passion de peindre se confond
avec celle de vivre pour Soi et pour les Autres. Exister est pour
lui garder confiance en Soi et dans l'Autre. L'ensemble des tableaux
qu'il expose aujourd'hui, peints à partir de 1994, pour
témoigner, face au génocide du peuple rwandais,
notre douleur et notre souffrance - les siennes comme celles du
reste du monde - en constitue au double sens du terme une belle
illustration.
Une
belle illustration au sens figuré du terme d'abord. Les
formes, les couleurs et l'ensemble des matériaux utilisés
pour faire parler la toile semblent de toute évidence marqués
par un haut degré d'équilibre et d'harmonie sobre.
On sent de manière quasi physique que le peintre a atteint
une grande maturité et une maîtrise épurée
de ce qu'il nous offre à voir. Par rapport au thème
traité sa peinture joue, de manière palpable, une
fonction apaisante.
Elle
sacralise l'innommable en humanisant et anoblissant le message
des victimes aux vivants pour que de tels actes soient à
tout jamais bannis.
S'il
est vrai que dans ses oeuvres antérieures la part de choc
et de tension que l'on sentait dans les ingrédients qu'il
" cuisinait " pour nourrir notre vision et notre esprit,
on sent au contraire dans sa phase de création actuelle
une tension apaisée, allégée, tant par la
lumière paisible que ses couleurs dégagent que par
la sobriété des formes qu'il extrait du silence
qui habite la toile avant qu'il ne s'en empare pour lui faire
dire et témoigner ce qu'est le vacarme de l'univers.
A
ce stade l'illustration du tableau passe du figuré à
l'abstrait, de la mutité au langage poétique. La
série de tableaux sur le Rwanda met, en effet, en évidence
que dans la relation qui existe entre les choses matérielles
et leur esprit, c'est toujours ce dernier qui ordonne, agence,
organise et rend harmonieux et humanise ce qui en apparence était
opposé, chaotique et désordonné.
C'est
ce que montre ainsi l'oeuvre intitulée " L'Ordonnateur
", réalisée pour taquiner l'ordinateur et rendre
plus humain par la magie des cauris, des couleurs et des formes
le message que la machine ne demande au fond qu'à rendre,
à sa manière, aussi humain que possible en mimant
et singeant jusqu'à la voix et à la démarche
humaine. Mais quelles que soient sa perfection et ses aspirations,
la machine ne pourra jamais créer comme l'artiste. Elle
ne pourra que recréer même lorsqu'on lui apprendra
à improviser.
Nul
doute que chez Ousseynou Sarr on sent en le regardant peindre
ses toiles; en l'écoutant enseigner à ses disciples
plus qu'à des élèves ; en l'entendant parler
peinture, poésie, amour, éthique et esthétique
avec une telle passion du donner et du recevoir à en perdre
le souffle, que ses tableaux constituent, pour lui comme pour
nous, beaucoup plus que des objets, des éléments
vitaux qui nous relient au-delà du visible aux forces invisibles.
Le
peintre n'est pas seulement un mélangeur de couleurs, il
est aussi un passeur de vies, tisserand de toutes les lignes d'espérance.
Ousseynou Sarr n'est pas un technicien de la couleur, il est la
couleur elle-même par sa puissance de rendre visible la
lumière du sang
Je
me suis toujours demandé, en passant le voir sur les bords
de Seine, si son lieu de travail était un atelier de peinture
ou un gîte des âmes.
Que vient chercher tout ce monde si différent et si étrangement
semblable ? De la couleur peut-être ou la main tendue du
peintre qui donne, donne, jusqu'à épuisement. Jusqu'à
l'effondrement de son sourire ne le quitte jamais.
La
couleur n'est pas seulement un habit de surface, il est aussi
sang des mots et sang des sentiments. Ousseynou a su certainement
donner avant de savoir peindre. Et c'est dans le don qu'il trouve
la matière de son inspiration. Chez lui, la couleur n'est
pas donnée. Elle est à la fois liquide et physique,
végétale, minérale, tissu de parfums où
se mêlent toutes les essences, toutes les déchirures,
les morsures et les cicatrices du temps.
Ainsi
en raccommodant les fissures du rêve, la plaie des mots
et les brisures de couleurs, il fonde le bonheur du monde à
partir d'un trait de pinceau. Mais sa peinture n'est pas dans
le geste, elle est dans le rêve qui la prolonge. Observez
bien ses tableaux et vous verrez qu'il ne peint pas, il construit.
Il construit avec tous les matériaux qui lui donne la vie.
C'est un bâtisseur monumental comme du temps des pharaons.
Il ne cherche pas le chef d'oeuvre mais l'inachèvement
de l'acte qui lui donne la joie de recommencer ... et de redonner.
En
cela, sa peinture fonde un nouvelle humanisme.
Babacar
SALL
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